Côte d’Ivoire – Tant qu’il y aura des problèmes, il y aura du zouglou

Bonjour à toutes & tous, je vais commencer ce samedi par une information du journal “LeMonde”, qui concerne la Côte d’Ivoire. En effet, la condamnation de Yodé et Siro a remis en lumière le rôle joué par ce genre musical, fierté ivoirienne qui dépeint depuis trois décennies la société et les abus du pouvoir.
Après sept heures d’attente, Yodé et Siro fendent une foule en délire dans la nuit de Yopougon. Ce dimanche 29 novembre à l’Internat, l’espace zouglou le plus prisé d’Abidjan, des milliers de fans survoltés grimpent sur les chaises en plastique, tentant de se frayer une place pour apercevoir les deux zougloumen du moment.
Le show est total : les artistes flambent, jettent des billets en l’air et sur leurs danseuses, un drone survole le public et les gros plans retransmis sur écran géant montrent des groupies, répétant mot pour mot les paroles engagées des tout derniers morceaux des deux artistes.

L’un d’entre eux a déjà fait couler beaucoup d’encre depuis la sortie de Héritage, leur dernier album, le 3 juillet. Le tube On dit quoi ? dénonce l’économie à deux vitesses qui s’est développée sous la présidence d’Alassane Ouattara ou encore l’emprisonnement des opposants politiques. « On ne se réconcilie pas en mettant les gens en prison, le pays a besoin de tous ses enfants pour la vraie réconciliation », chantent Yodé et Siro.Dans ce duo, le second défend le camp Ouattara, tandis que son acolyte fait siens les arguments pro-Gbagbo.
Devant le public déchaîné de l’Internat, Yodé et Siro chantent leur tube avant de marquer une pause : « Le procureur, lancent-ils, il n’est plus procureur, il est procureur d’un seul camp. (…) Allez dire au procureur Adou Richard, allez lui dire qu’un mort c’est un mort. On ne passe pas son temps à chercher les petits Baoulé dans les villages pendant que les gens sont ici avec des machettes. Et ils sont bien identifiés ! »
Une allusion directe à la justice perçue comme partiale par l’opposition ainsi qu’au nombre controversé de personnes mortes dans les affrontements pré et post-électoraux des derniers mois : au moins 87 selon le dernier bilan officiel, bien plus pour l’opposition.

Douze mois de prison avec sursis

Relayé sur les réseaux sociaux dès le lendemain, la séquence filmée fait bondir le procureur de la République. Le duo, accusé « d’outrage à magistrat », est placé en garde à vue jeudi 3 décembre avant d’être déféré en comparution immédiate. Le lendemain, Dally Djédjé et Sylvain Decavailles Aba, leur nom à l’état civil, sont condamnés à douze mois de prison avec sursis et écopent d’une amende de 5 millions de francs CFA (quelque 7 600 euros). Le juge précise aux artistes qu’ils ont « une période probatoire de cinq ans pour [s’]assagir, sinon le sursis sera levé ».
Une « intimidation » qui fait hurler Didier Bilé, l’un des premiers zougloumen du pays, devenu aujourd’hui producteur à succès. « Etre sage, c’est contraire à l’essence même du zouglou qui permet de raconter les problèmes que nous vivons », explique-t-il. L’homme sait de quoi il parle. Au début des années 1990, à l’aide de djembés et de leurs voix, Didier Bilé et quelques camarades de la cité universitaire du campus de Yopougon interpellent les autorités sur les conditions de vie des étudiants.

A l’époque, la prospérité du « miracle ivoirien » a laissé la place à l’austérité des plans d’ajustement structurel, contraignant les étudiants à s’entasser dans les amphithéâtres et dans les dortoirs. « La cité universitaire était prévue pour 7 000 personnes, mais nous étions 21 000, se souvient Didier Bilé. Nous avons choisi de dénoncer cette situation en chanson et en danse. »
La fin de règne de Félix Houphouët-Boigny, père de la nation ivoirienne, coïncide avec un désir d’ouverture politique. L’époque, qui marque le début du pluralisme politique, voit le Front patriotique ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo sortir de la clandestinité et de nouveaux syndicats émerger, notamment la sulfureuse Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci).

« Toute la classe politique en a pris pour son grade »

En se faisant l’écho, dans un « français populaire ivoirien » compris de tous, des préoccupations sociales et politiques du peuple, le zouglou s’impose alors comme la bande-son de l’époque. Très vite, il passe des campus aux quartiers populaires puis, grâce à la démocratisation des ondes FM, devient la musique phare d’une nation enhardie.
Après la mort de Félix Houphouet-Boigny le 7 décembre 1993, le zouglou garde son essence contestataire et ses apôtres critiquent tour à tour les successeurs du « Vieux », à commencer par Henri Konan Bédié. Sous l’ère Gbagbo, les artistes sont néanmoins chouchoutés par le pouvoir, notamment par le ministre Charles Blé Goudé issu de la Fesci, qui tente de les attirer dans sa « galaxie patriotique » pour tenir la rue d’une Côte d’Ivoire partagée en deux.

Si certains artistes frayent alors avec le pouvoir en place, les grands noms du zouglou continuent de chanter les malheurs du peuple et ne se privent pas de dénoncer la mauvaise gouvernance du régime Gbagbo. « Depuis la naissance du zouglou, toute la classe politique en a pris pour son grade », explique le professeur Yacouba Konaté, auteur de travaux sur ce genre musical « made in Côte d’Ivoire ». Et de poursuivre : « Yodé et Siro sont aujourd’hui accusés de rouler pour l’opposition, mais ils ont autrefois vertement critiqué les présidents Bédié et Gbagbo. »
Mais pour beaucoup, le duo s’est laissé emporter à l’Internat, le pouvoir évoquant « plus un meeting politique qu’un concert », les deux artistes oubliant, pour certains, les codes du zouglou. « Le zouglou utilise souvent la dérision. Ils auraient dû le dire en chantant ou mettre un bip, estime Didier Bilé avant de rappeler : ce qu’ils ont dit, beaucoup le pensent dans la population. Ils ont indexé des gens et c’est ça qui a vexé certaines personnes. Mais pour rester dans le concret, il faut titiller. »

Yacouba Conaté

« Le zouglou a l’ADN social »

Si la condamnation des deux artistes a suscité un tel émoi au sein de la société ivoirienne, c’est aussi car ces dernières années le zouglou avait semblé marquer le pas face à l’émergence de nouvelles tendances musicales aux relents moins contestataires.
La grande médiatisation du coupé-décalé et l’émergence du rap, de l’afrobeats ou de l’afro-trap ont pris les devants de la scène. « Le zouglou est né en 1990, en pleine contestation sociale. Le coupé-décalé, lui, est apparu en 2002 dans les boîtes françaises. C’est le style m’as-tu-vu qui n’est pas engagé, précise Arthur Banga, enseignant-chercheur à l’université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan. Le zouglou, lui, a l’ADN social. »

Ses artistes sont décrits comme des messagers, ceux qui dénoncent les maux de la société. « Le zouglou reste une grande messe du week-end en Côte d’Ivoire, assure Moussa Soumbounou, ancien directeur d’Universal Music Africa, aujourd’hui indépendant. Mais désormais, la guerre commence à être loin, les sujets évoluent. »
La nouvelle génération semble plus frileuse. Elle évoque la paix nécessaire, les relations hommes-femmes et les galères quotidiennes quand ceux qui ont connu la guerre comme Yodé et Siro ou encore Soum Bill n’ont pas hésité à dénoncer les inégalités et les abus de pouvoir. Mais maintenant que les leaders du genre ont parlé, une nouvelle vague pourrait suivre. « J’ai écouté des albums qui sont en train de sortir, les gens vont continuer de parler, prédit Didier Bilé. Tant qu’il y aura des problèmes, il y aura du zouglou. »
(Source : Le Monde – Par Youenn Gourlay (Abidjan correspondance & Yassin Civow) Publié hier à 13h00, mis à jour hier à 15h30)

Didier Bilé

Personnellement je pense et en toutes sincérités, que lorsqu’on a la chance d’être un artiste reconnu du public (ou même pas connu d’ailleurs), son devoir est de dénoncer les exactions des puissants, dénonciations que savent faire avec brio le duo Yodé et Siro et bien d’autres encore. Mais avec la musique si entrainante, le public a t’il vraiment conscience des exactions de leur gouvernement, gouvernement lui qui voit très bien se qui se passe puisqu’il les a trainé en justice…. Mais heureusement la justice a su faire la part des choses sans trop sanctionner ces artistes, et d’autres viendront encore et toujours pour dénoncer les exactions des puissants de ce monde !
Je vous souhaite à toutes & tous un excellent week-end entourés(es) des personnes que vous aimez et surtout prenez bien soin de vous.
Les images & vidéos posées sur cet article ne sont pas ma propriété.
Paola

A propos Paola

Mon pseudo "Kaki Sainte Anne" Ecrivaine, mais je suis Béatrice Vasseur et je signe tous mes articles ici sous le nom de "Paola"
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